Jardin

 

Les escales jardinières

Aux soirs

D’épuisement

Ont des tendresses

Végétales

Pour les hommes

Sans espoir

                                        La maison

 

 

 

Je connais un endroit, à quelques hectomètres de la mer où se dresse une grande maison grise au toit de pierre bleue. J’y suis né. D’une certaine manière il n’y a rien de plus fort que d’aimer cette maison. Lorsque la nuit est noire comme l’encre, lorsque le vent souffle en longues rafales qui font craquer les charpentes et rouler les bidons vides dans les cours de ferme, vous avez alors la sensation d’être recroquevillé dans le ventre de l’univers. Il n’y a rien de plus fort, rien de plus angoissant, il n’y a pas de certitude plus grande de n’être rien et d’être totalement dans le tout.

Lorsque la pluie a mouillé la terre au point de la transformer en éponge, allez donc vous asseoir au pied d’une haie et laissez-vous pénétrer de l’éternel mystère de la vie végétale, expérimentez la puissance des gouttes froides qui vous tombent dans le cou, l’inexorable présence de l’herbe, de la mousse, de la rivière limoneuse sortie de son lit. Vous aurez alors la sensation d’être digéré, de ne plus être que de l’humus. Il suffirait que les hommes se croisent les bras pendant quelque temps pour que la nature reprenne toute la place. On la verrait alors projeter ses graines dans les petits champs gagnés sur les bois et s’imposer à nouveau, seule maîtresse des lieux, comme au début de toutes choses.

Ici, les hommes ne sont pas indispensables. La pluie, le vent, les arbres vous le chuchotent ou vous le hurlent selon leurs humeurs. Les paysans ont livré un combat sans fin qui a marqué leurs visages, leurs mains, leurs pensées. La nature n’est pas un terrain de jeu. Cette garce se refuse à chaque instant. Elle rit de les voir s’user et s’amuse à les façonner à l’image des racines des arbres.

Les paysans sont en train de disparaître. De temps à autre, j’en enterre un que j’ai bien connu dans la petite église de mon village natal. Les chapelles sont remplies de survivants aujourd’hui à la retraite. Ils tracent un dernier sillon de vie à genoux dans leurs jardins, car ils ne sauraient oublier la terrible routine des vastes champs. Parfois, une tête cabossée, une trogne bouffie, violacée s’arrête sur moi et se demande qui est ce citadin. J’imagine le cimetière d’ici quelques années. Ils y seront tous, ces durs à cuire d’une presqu’île oubliée. Il ne restera plus alors que la nature, les graines poussées par le vent. Elles pousseront sur leurs tombes et recouvriront les cimetières de landes et de fleurs sauvages.