« Sur la route bleue, il n’y avait personne. Je cherchais les morts partout, sous les arbres penchés. Je cherchais les petits hommes trapus aux mains de pierre, aux regards de nature brute, penchés sur leurs paniers, mais je ne les trouvais pas. Il ne restait plus que quelques pommiers à moitié déracinés, échevelés, pauvres épaves aux branches sèches proie des tronçonneuses des retraités. »

 

 

« Jours sombres de l’automne à la fenêtre de la maison rugueuse. Puissante mélancolie des feux de fagot dans la cheminée ; les dalles de pierre de la cuisine sont usées par les pas humains. »

 

« La porte du cellier gronde à chaque fois qu’on l’ouvre. C’est une vieille et large porte, rapiécée, avec un trou en bas pour laisser passer les chats. Toutes les vieilles portes grincent, sauf celle-là qui gronde. On la ferme avec une chaîne, en glissant l’un des maillons dans un taquet fiché dans le mur. Si bien que la chaîne claque contre le bois lorsqu’on ouvre. Ces deux bruits là – le grondement de la porte et le claquement de la chaîne – sont probablement les deux plus anciens bruits de ma mémoire. Ils évoquent l’énigme troublante du vieux cellier, gueule noire, passage vers un au-delà. »

 

 

Que faites-vous

Pauvres feuilles

Mortes

Tombées par millions

Recroquevillées

Devant ma porte

Que faites-vous

Pauvres parures

Mortes

Des arbres

Violentés.

 

 

« Je pèle ma pomme dans les gestes de mon père. Il aimait les pommes d’amour, les tranchait en deux parts égales, avec la même lenteur religieuse que le curé mettait à saisir le ciboire. Puis il les pelait finement et divisait encore les deux moitiés. Enfin, il croquait la chair juteuse. Je vois ses gestes dans mes gestes. Il aimait les pommes avec le respect de ceux qui ont greffé les arbres, les ont vus en fleur, puis contemplé les fruits en train de grossir.

 

 

« Le vent d’automne secoue le noyer. Les noix tombent dans l’herbe glacée, abandonnant leur armure verte. Les noix sont dures au creux de ma main. C’est l’enfance qui revient et qui cherche toujours et encore des réponses impossibles.

 

 

« En bordure du bois, il y a un petit pré traversé par la rivière. Une toute petite rivière, très vivante, néanmoins, avec ses berges gorgées de fleurs et de roseaux, livrées aux ragondins et aux demoiselles les libellules. Nous ne sautons jamais la rivière. L’autre côté, à deux pas, pourtant est territoire inconnu. A moins de deux cents mètres, se dresse une futaie de chênes. J’ai toujours eu envie d’y pénétrer et pourtant, je ne l’ai jamais fait. Il existe des frontières invisibles.

 

 

« J’ai rêvé de départs, sac au dos, de réveils solitaires sous la tente, de rosées matinales au café de campeurs, d’horizons de montagnes bleues, de pèlerinages au pays des dieux. Mais je suis resté là, englué, prisonnier d’un rêve, d’une énigme. Ah, Rimbaud…..

 

 

« Les petites filles aux bouches fumantes dans l’hiver noir des cartables et des cache nez couraient sur le chemin mouillé elles sentaient l’herbe, les feux de bois les brouillards et le varech et révisaient leurs leçon de choses. »

 

 

 

 

Je voudrais qu’on vive

Sur le chemin des fossés et des routes vides

Je voudrais partir

Au pays sans mémoire

Où je ne serais plus

Pantelant devant la mort des autres

Je voudrais marcher

Jusqu’à l’épuisement

Pour oublier

Ce que je suis

Ce que sont les autres

Forteresses hérissées

D’amour

Et de haine